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Leçon 2, définir l'art-actuel

Art-nouveau, Sécession, art-déco, Modernisme, Post-modernisme, art-contemporain, art-actuel… Les catalogues du marché de l’art ou les précis d’histoire de l’art tentent avec difficulté de mettre de l’ordre dans ces mouvements, d’appréhender leurs temporalité et frontières.


Les définitions sont multiples d’une galerie à une autre, d’un ouvrage à un autre. Pour peu que l’on tente de définir l’art par les propriétés esthétiques de l’œuvre ou par le concept sous-tendu, que l’on tienne ou non compte des devanciers ou des suiveurs, le discours se perd vers des chemins inaccessibles au « simple » amateur d’art.


Même les Muses sont reparties s’habiller. Devenue illustres inconnues, lequel d’entre nous saurait encore les identifier sur les façades d’un Opéra ? Quel artiste actuel saurait encore les nommer ? Et pourtant, quel bonheur cela devait-il être de se laisser bercer par ces petits canons, indécentes médiatrices entre l’Homme et ses dieux. Quel bonheur cela devait-il être de nous laisser mener par le bout du nez vers notre nature divine et notre destin d’Homme.


Malheureusement pour elles, le mouvement l’art dans tout et l’existentialisme sont passés par là.


Le premier a fait sauter le cloisonnement entre les arts majeurs et les arts mineurs, mais surtout a fait voler en éclats les frontières entre production artistique, industrielle et artisanale.


Le second a définitivement pendu les Muses au gibet. Finie l’excuse de l’inspiration divine, finie l’excuse de la Nature Humaine, de son idéal et même de son dépassement. L’Homme est responsable individuellement de son devenir et de celui de ses congénères (Sartre, 1996).


Quel bazar, autant d’hommes, autant d’opinions et de définitions sur les choses, leur utilité et leur destination.


Au niveau communautaire, social ou culturel, on ne sait plus ce qui est quoi… En revanche on sait ce qui n’est plus.


L’Art n’est plus uniquement majeur ou mineur et encore moins une production exclusivement artistique, industrielle ou artisanale. Nous pouvons nous accorder aussi sur les faits que nous ne sommes pas tous artistes, que tout n’est pas art… Et que ce qui est perçu comme faisant Art est un acte délibéré de l’humain.


En 1937, à Munich, les œuvres de Kokoschka et d’Otto Dix furent exposées au peuple et à la rue comme représentatives des plus bas instincts du gangstérisme et l’ultime production d’une sous-société de dégénérés. Pourtant, oui, ils étaient capables d’art « ces animaux-là ! ».


Kokoschka s’exile à Prague puis Londres, mais d’autres comme Otto Dix sont contraints à l’exil intérieur et revenir temporairement à des valeurs picturales plus contextuellement acceptables, quitte à se lever la nuit et poursuivre en secret leurs pulsions créatives originelles.


Aujourd’hui, il ne viendrait à personne l’idée de voir les œuvres de ces damnés de l’ «art dégénéré » comme des sous œuvres ou des exemples types d’un art malsain(t)… Et en plus, ils sont devenus d’excellents placements financiers.


Et si définir l’Art, ce qui le fait ou ce qui ne le fait pas, ce qui pourrait peut-être le faire ou ne le fera jamais, était une problématique d’idéologie dominante, si bien-pensante, si bien-aimante et si légale soit-elle ?


Dans ce cas, l’Art serait par essence profondément lié à la temporalité et aux moyens d’une société. A l’image même des sciences et des connaissances, cela impliquerait le dépassement de la notion d’idée d’Art aux bénéfices de l’état de l’art, comme nous parlons d’état de la recherche et d’état de la pensée.


L’Art ne serait pas définissable en soi, mais serait le Polaroïd cadrant une scène familiale, sans horizon. Un cliché bien carré laissant hors du champ d’impression ce qui est jugé ne pas faire mémoire.


Les Arts sont un lieu

Pourtant, traditionnellement ou académiquement l’Art est défini autour de sept familles : sculpture, architecture, peinture et dessin, musique, littérature et poésie, arts du spectacle, cinéma. On tente actuellement d’y ajouter la bande dessinée et les créations numériques… Baroud d'honneur de nos Muses.


Mais en s’extrayant de ce Polaroïd aux couleurs trop marquées par la technologie de son temps, les combats dogmatiques visant à organiser les œuvres humaines en sept, neuf ou même douze clans n’ont plus ni sens ni d’intérêt.


S’il y a absolument une définition des Arts, elle devrait laisser la porte ouverte à ce qui n’existe pas encore ou n’a pas été encore perçu, à ce qui nous est actuellement encore étrange. Les Arts seraient alors le domaine des œuvres humaines destinées volontairement à toucher les sens et les émotions.


Et nous savons combien les sens et les émotions portent leur part de subjectivité, de communautaire et de champs à venir non encore pensés…

Et si les Arts sont effectivement un domaine, alors ils sont un lieu défini, portant son identité et sa loi. Quelles en seraient empiriquement les principes fondateurs ?


L'art-actuel dans le vignoble :

l’œuvre est perçue dans son contexte et son horizon viticoles.

  • Elle s’insère dans une dynamique de désir ou de besoin de cheminement.

  • Elle n’est, au moment où elle est exposée dans son contexte originel, ni un cheminement raisonné au travers d’une collection muséale, ni une présentation ponctuelle dans une galerie et encore moins un discours déconnecté de la présence de l’œuvre dans une revue d’art.

  • Elle est donc, soumise aux aléas climatiques, à sa présence directe avec la délicatesse ou la brutalité du promeneur, à son entretien, à son temps d’existence préprogrammé.

  • Elle est perçue au travers de l’état d’être ponctuel du promeneur, son dynamisme physique, sa fatigue, son ennui, sa solitude ou son groupe, son désir/besoin ou non du désir/besoin, influencé ou non par un discours précédent sa rencontre avec l’œuvre.

  • Elle est d’abord perçue hors de la raison, mais avec le corps en mouvement du promeneur des vignes.

  • Elle est pleinement d’actualité dans le sens où elle est en relation directe avec son contexte de destination et la destination du promeneur.

  • Mais elle est également d’actualité dans le sens où la création de l’œuvre est contemporaine au promeneur, en partage le même temps.



L'architecte Cathy LEFEVRE et le vigneron Emilien FENEUIL tentent de définir comment leur prochaine oeuvre doit s'intégrer entre vignes et bois... Sermiers (51) Mai 2019 - (c) Fabrice LAUDRIN



Mais, est-elle art-actuel ?

Oui, pleinement d’actualité et tant que la relation directe entre l’œuvre, le contexte d’origine et le public initial auxquels elle est destinée est maintenue.


Mais l’art actuel dans le vignoble peut également toucher un autre public que le promeneur du vignoble… la vigne elle-même.





Des œuvres comme thérapie pour la vigne

Aussi étrange que cela puisse paraître, il des tenants de l’art non plus comme un geste magnifiant un contexte anthropique, mais comme communication interspécifique, d’un lien bilatéral entre le monde animal et le monde végétal. L’art prend alors une destination visant le confort optimal de la plante domestiquée. Il prend alors deux formes.


La première est celui du monologue verbal ou du phrasé musical. On parle à la plante, on chantonne en la cultivant espérant amoindrir l’impact de l’homme sur la plante, ou bien on espère via le verbe ou la mélodie initier et entretenir un lien de coexistence respectueux. L’idée n’est pas récente, nous avons tous eu une grand-mère jurant que ses plantes sont en meilleure santé depuis qu’elle leur parle. Certains chamanes d’Amazonie occidentale tirent de la mélodie chantonnée ou sifflée un mieux-être communautaire dans leur conversation bilatérale avec l’esprit des plantes, notamment avec la vigne serpentine qui est reconnue pour favoriser la rencontre avec les esprits.


La seconde est plutôt de l’ordre de la thérapie prodiguée par l’homme vers la plante. Certaines mélodies sont destinées à aider la plante à se défendre contre certains nuisibles, certains effets climatiques ou géologiques. Le sujet est suffisamment pertinent pour être actuellement l’objet de recherches académiques et assez rentable pour fonder certaines entreprises commerciales.


La seconde forme est plastique et économique. Elle et repose sur le postulat : Se rendre dans le vignoble, créer et installer une œuvre d’art au milieu des rangs de vigne est signifier à la plante que nous apportons ce que nous avons de plus beau de nous-même. Cette forme procède par inversion : une plante dans notre salon, près de notre bassin, nous donne joie à vivre (corps et esprit) et à produire, alors, à l’inverse, par souci d’équilibre, un œuvre d’art entre les vignes doit donner à la plante joie à vivre et à produire.


Ces deux formes d’art suivent fondamentalement la définition de l’art-actuel dans les vignes :

  • Elles sont un cheminement de l’homme à destination de la plante immobile,

  • Elles sont profondément ancrées dans le contexte et ses aléas,

  • Elles entretiennent une dynamique du désir/besoin aux bienfaits de la coexistence entre un ensemble de plantes vivantes et leur «colocataire» humain.

Que l’on enlève un seul de ces éléments et la raison même de l’œuvre d’art, qu’elle soit musicale ou plastique, perd de sa raison d’être.


Des œuvres par et pour le vigneron lui-même

La dernière forme d’art qu’il convient d’inclure dans l’art-actuel dans les vignes est celle relative aux installations dans le vignoble conçues par le vigneron et destinées à lui-même.


Il existe des œuvres non ostentatoires invisibles du promeneur des vignes.


Nous pensons par exemple aux piquets de vigne peints de certaines couleurs liées à l’histoire intime du vigneron et suivant une réelle démarche artistique. Un bel exemple se situe à la lisière d’une parcelle de Chamery. Difficilement accessibles à qui ne connait pas les lieux, ils sont là uniquement aux bénéfices de celui qui vient faire sa sieste au milieu du rectangle d’herbe attenant et surtout au vigneron en pause déjeuner. On ne passe jamais par-là, on y vient, c’est une destination à part entière.


Ce type d’installation artistique est lui aussi profondément dépendant du contexte et de ses aléas. Il entretient une dynamique du désir/besoin à venir en ce lieu. Il est à destination du vigneron qui se trouve être l’artiste à l’origine de l’œuvre.

Là encore que l’on ôte l’un des éléments et l’installation perd de sa raison d’être.


Conclusion : Trois vecteurs définissent l'art-actuel dans le vignoble

Pour résumer, une installation artistique, une œuvre d’art, dans les vignes est lieu d’art-actuel si elle répond à trois critères précis :

  • Une interaction directe avec le contexte et ses aléas.

  • Une volonté d’être une destination ou être à destination.

  • Une volonté de faire désir ou faire besoin.


On ne parle en aucun cas ici de compréhension de la destination, ni même de plaisir ou de jouissance.


L’art-actuel est donc un toponyme identifiant un lieu vivant de désir/besoin, de volonté et d’interaction… que ce lieu soit au final compris, assimilé, digéré, toléré, reconnu, par le promeneur du vignoble ou non.


 

Sartre, J.-P. (1996). L'existentialisme est un humanisme. Paris: Gallimard, Folio Essais.

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