Eloge du vide

Sermiers…
Un petit village champenois, à l'ombre de son clocher et de la Montagne de Reims. "Les Gueules aux vaches", "Les Vignes aux poules", "Les Louvières"... Autant de toponymes témoins d'un temps où l'Homme tentait encore de s'approprier son espace saison après saison.
Ce village et son terroir sont surtout le lieu, l'espace, où chaque semaine, année après années, je cultive l'absolu bonheur d'être seul face à moi même.
Pérégrinations salvatrices après une semaine dédiée à mes chers patients rémois.
Je ne vous révèlerai pas le lieu où je me pose face à l'horizon, révèle-t-on les meilleurs coins à champignons ? Mais en usant d'un peu de clairvoyance et d'espièglerie vous saurez m'y croiser. Alors nous prendrons le temps d'être là ensemble autour d'un beau flacon des Côteaux Champenois.
Sermiers… Sarmates.
C'est certainement le nom des habitants de cette commune qui m'a attiré en premier, les Sarmates. Pendant de nombreuses années j'ai parcouru le Proche-Orient et la Haute-Asie de mission archéologiques en mission archéologique. Je tentais de comprendre l'évolution sociale des communautés dont nous mettions au jour patiemment les témoins matériels.
Sarmates… Les habitants de Sermiers sont donc de lointains descendants de ces fiers Sarmates, les cavaliers scythes combattant pour l'Empire Romain. Las des guerres, avec leur sang, ils ont gagné de Rome le droit de s'établir ici et de refonder un nouvel avenir commun.
Ce terroir qui s'étend là à mes pieds, de cette forêt dense jusqu'à la vallée, est donc fondamentalement une terre de repos, d'honneur, de reconnaissance et d'avenir.
Cette idée résonne, vibre et fait écho profondément en moi car elle est la réponse à l'une des problématiques majeures de mes patients : le "tout ça pour ça", l'angoisse face à l'absurdité de la vie, passer sa vie à tenter d'exister tout en sachant qu'au delà du seuil de la mort il n'existera probablement plus rien de ce que nous sommes aujourd'hui.
Et ici, ce terroir qui s'étend là à mes pieds, de cette forêt dense jusqu'à la vallée, est la meilleure réponse à l'angoisse sidérante… Au delà de notre disparition vit notre terre, celle dont nous sommes propriétaires mais que nous empruntons à notre descendance, celle dont nous sommes responsable, celle sur laquelle il est aujourd'hui possible d'imprimer notre souvenir… Fonder le futur et posséder l'avenir c'est choisir ici et maintenant si cette parcelle au pommier tordu, là en face moi, sera le lit d'une usine de fertilisants ou continuera à être l'alcôve secrète de deux vendangeurs épuisés.
Encore un peu au-delà, combien est savoureux le vide.
J'observe ces milliers de piquets alignés couvrant le piedmont. Ils n'ont de rôle qu'à générer et organiser le vide autour d'eux, entre eux. Sans ce vide dressé et domestiqué pas de vigne saine et aérée.
Sermiers, la Sarmate… A le pouvoir de magnifier l'Homme face à son Vide.