Esprit de Corps - Partie 1 - Vendanges Stéphane Parmantier

J'ai toujours été fasciné par les mondes qui tournent ensemble. Chacun d'entre-eux se construit comme un centre de l'univers, à peine a-t-il conscience de son rôle dans la magnifique danse des galaxies.
Les vendanges sont un moment privilégié à l'observation de ces mondes parallèles valsant l'un avec les autres. A l'échelle du vendangeur, il y aurait beaucoup à écrire sur le déterminisme menant au « choix » de son partenaire de rang de vigne. Comme il y aurait au moins autant à se délecter au niveau du patron-vigneron veillant à ce que cette constellation de petits mondes individuels s'organise de manière harmonieuse... L'esprit de corps... Le corps des corps.
Et à qui veut bien se donner le temps d'écouter, ces corps parlent tout le long du jour. Certains ont le verbe haut, d'autres murmurent, d'autres monologuent à mots couverts. Mais tous participent à cette musique des sphères, le vin mélodieux, celui qui nous guidera dans quelques mois vers nos propres paradis intérieurs.
Qu'est d'autre le vin que le miroir de ceux qui ont participé à le créer et l'élever? Climat, maturité, santé, terroir, exposition des vignes, type de fermentation, conservation... sont utiles à dresser le portrait robot d'un vin, mais ils sont bien loin d'en exprimer la personnalité. Comment glisser au-dedans de nous même, l'entase, sans avoir accepté la personnalité de qui nous accompagne et facilite le voyage ? En n'ayant de disponible que le portrait robot, au mieux céderons-nous à l'extase en partage et tacherons de rattacher notre tête à notre corporéité par un vocabulaire descriptif convenu.
Lors d'une vendange il est donc assez aisé d'écouter la valse de ces corps, de tous ces centres d'univers se croisant entre les pampres. Deux mélodies sont à repérer, celle des couvre-chefs et celle des tatouages. Parfois les deux se croisent...
Là, sur la parcelle des Goulats à Chamery (1) ces mélodies sont riches et profondes. Elle viennent autant de notre terroir que des environs de Prague.
Claire et forte, une casquette verte avec un « M » chante la solidité et le savoir-faire de Marcel. Une autre avec le dromadaire d'une compagnie de taxis de la Mer Morte semble me susurrer la persévérance discrète de Josué. « Brooklyn » sur un bob blanc immaculé bat en rythme un peu plus haut que les autres, il danse Pierre et le Hip-hop.
Plus complexe est la mélopée de Nathalie. Une série de tatouages à l'encre naturelle, comme à mots couverts s'enroulent autour des bras pommes de pin et portraits énigmatiques.
Décrypter l'univers de Mina me semble plus à ma portée. Quatre tableaux à l'encre bleue représentant quatre émotions semblent ostensiblement définir son sillage. Tandis qu'une feuille de plante qui se doit d'être un peu plus discrète se niche derrière la ceinture de son short noir.
L'équipe de vendangeurs doit maintenant se déplacer sur une autre parcelle. En regardant la camionnette s'évanouir dans la poussière du chemin je me demande ce qu'ils retiendront de leurs vendanges. Quels souvenirs se fabriquent-ils ? Ces mondes se reconnaitront-ils un jour, ailleurs ?
Quant à moi je redescends vers le pressoir de Stéphane Parmantier... l'autre univers où des mondes différents participent aussi à la naissance du vin.
Pas de casquette, mais j'y découvre de sacrés tatouages tonitruants. Vaisseau pirate recouvrant avec force le nom d'une ancienne égérie, flammes rouges et jaunes hurlant le bonheur de la naissance d'enfant, carpe koï représentant l'espoir de santé et longue vie, étoile à cinq branches au nombre 13, crane aux globes oculaires flamboyants, toile d'araignée, dates anniversaires... Chacune de ces gravures est le signe mémoriel d'une histoire intime ou familiale, d'une victoire, d'un vœu, d'un engagement, d'une appartenance, d'une erreur ou d'une angoisse. Ils sont l'image partielle de ce que l'on a été, ce que l'on espère être ou être reconnu être. Certains sont symboles en partage, d'autres peuvent être plus « hiéroglyphiques » et ne chantent que pour les initiés... Mais tous sont là pour graver, ancrer, un temps. Le corps devient alors une archéologie de l'esprit. Un œil exercé peut y lire la fraîcheur et l'étalement de l'encre donnant une chronologie relative. Il peut également repérer quel motif recouvre un autre et percevoir les influences culturelles ou plus contextuelles.
Si tant est que ces gravures font Histoire intime et non histoire de mode, elles sont délectables pour un psychanalyste. Peut-être les casquettes le sont elles moins, mais-elles aussi participent à l'état d'être des individus au moment de la fabrication du vin.
Doit-on réellement porter attention aux tatouages et aux casquettes, voire au t-shirts, des vendangeurs pour jouir d'un vin ?
Tout ce qui peut affiner la connaissance de la personnalité d'un vin est utile à l'accompagnement vers l'entase. C'est un luxe... ou pas. L'écriture d'un simple texte dépend très profondément de l'état d'être de son auteur... d'autant plus pour le vin, ce milieu vivant.
L'extase souvent suffit, au même titre que la conscience de boire tel ou tel millésime, telle ou telle maison. L’extase est à défaut de l'entase... Étant un être égocentré, j'ai plus de jouissance à l'entase qu'à son défaut.
Je voudrais juste que cette phrase vous picore l'esprit : La mélodie du vin est la rencontre de toutes ces histoires d'hommes et de femmes en mouvement.
Je tiens à remercier toutes l'équipe des vendanges 2020 Stéphane PARMANTIER, les tatouages et les casquettes sont de Mathieu, Kévin, Marcel, Josué, Nina, Nathalie, Boris et Pierre.
(Partie 2 - Casquettes et tatouages - Vendanges 2020, Thomas Perseval)
(1) 49° 9'50.85"N, 3°57'50.99"E
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