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L’espace d’accueil idéal des visiteurs dans les vignes.



Construction du dôme géodésique - Stéphane PARMANTIER - (c) Fabrice LAUDRIN, juillet 2020

Dans le vignoble de Chamery, les discussions vont bon train… Une question revient souvent : quelle architecture serait la plus adaptée pour accueillir les visiteurs au milieu des vignes ?

Autrement exprimé, comment créer la symbiose ultime entre la vigne et son vigneron, la vigne et le visiteur, le vigneron et le visiteur ? Comment créer un espace dans les vignes apte à lier le visiteur au projet de la vigne et du vigneron ?

Lier n’est pas un vain verbe : il implique un lien indéfectible, un attachement émotionnel et rationnel. Cette architecture se doit donc d’être émotion, mais également de rationalisation. On sait que l’homme n’a de rationalisation qu’a posteriori… Une fois l’action effectuée.


Rationalisation n’est pas raison. La raison est de l’ordre du conscient, de l’expérimenté, du reconnu, du déjà-vu. Elle est également de l’ordre du Surmoi, du déjà théorisé ou légalisé. Rationaliser est s’approprier l’acte effectué en cherchant un contrepoids à la pulsion émotionnelle. 

Cette architecture doit ainsi satisfaire à cette émotion immédiate et continuer son travail d’attachement a posteriori, en l’absence même de sa matérialité.

Une question de style ?

 Le style, qu’il soit art-nouveau, art-déco, Space Age ou même choucroute, est très loin d’engager l’émotion malgré soi. C’est une question de goût ou d’opportunité, voire de marché.


On peut être attiré par le gigantisme, l’intelligence, l’avant-gardisme d’un édifice, on peut même collectionner tout ce qui est en rapport avec ce style, on peut même décider de s’y immerger au quotidien. Mais tant qu’il ne va pas titiller nos schémas psychiques il ne restera qu’un style, que le représentant d’un contexte. Par exemple, le gigantisme nous emportera malgré nous s’il est associé à notre besoin ou notre rejet du paternalisme, l’architecture des grandes dictatures de l’antiquité à la période actuelle en use avec force. A l’inverse, le style Secession viennois ne nous emportera qu’au travers de sa réaction avec l’Académisme, contra paternelle… 

Un style nous emporte donc uniquement lorsque celui-ci se pose en acte agrippant et faisant vibrer ici et maintenant l’une de nos sensibilités ou qu’il soit apte à faire miroir ou contre-miroir à l’une de nos aspirations. Il est ainsi profondément contextuel et subjectif. Il ne peut en lui-même porter émotion.

Rappelons également que l’émotion est ce qui ex motive, ce qui nous porte hors de nous, qui s’échappe à notre future rationalisation. L’émotion est l’inverse de la sidération, l’inverse de ce qui nous cloue, nous laisse sans voix ou nous paralyse, nous hypnotise, d’une manière ou d’une autre. 

La sidération empêche le travail de rationalisation a posteriori. Elle engage des schémas conscients ou inconscients d’évitement ou bien encore une reformulation psychotique, seuls moyens de poursuivre ou de retrouver les motivations nécessaires à refaire corps avec le vital cheminement du quotidien. 

Cette architecture ne peut non plus être une unique question d’émotion sans risquer de contresens entre le projet du viticulteur et la perception subjective du visiteur.

Que reste-t-il donc ?

L’espoir d’un fond commun entre le viticulteur et son visiteur… le fond minimal qui fait d’un homme un humain ? Il serait vain de trouver une koïnê dialektos, un langage commun, décrivant une perception universelle.


Il y a bien longtemps que des notions fondamentales pour l’homme occidental, tel le complexe d’Œdipe ou l’amour maternel, ne sont plus considérées comme universelles, de tout temps et de tout lieu. Certes, il serait possible de trouver les schémas les plus statistiquement partagés, mais correspondraient-ils à ceux du viticulteur, à son projet symbiotique avec sa vigne ? 

Il ne nous reste donc que le pari, celui de la préhension de l’univers du viticulteur par son visiteur. 

Sur Chamery, une forme semble vouloir émerger, loin d’une théorie stylistique ou d’une logique architecturale. Elle est imaginée comme un point nodal entre la vigne, le vigneron et le visiteur. Elle est pensée comme la gangue née du terroir et abritant la symbiose de l’amour entre la vigne et le vigneron.

Chimère

Cette forme est une chimère, un être composé d’éléments de plusieurs espèces. Elle procède d’une part de la géode, cette gangue dont la beauté brute n’est révélée que par le travail de l’homme et d’autre part du dôme géodésique, perçu comme réduction humaine de Gê, la Terre, le terroir.

A les entendre, cette chimère serait la forme tombant sous le sens. Elle serait le cocon merveilleux de l’homme en contact respectueux avec les éléments naturels et ayant réussi à les réduire à son échelle et à ses imperfections. Elle serait le lieu de consonance parfait pour les visiteurs partageant avec le vigneron cette nécessité à garder les pieds profondément à l’écoute de la terre, plus précisément de tout ce qui fait le terroir. 

En tant que psychanalyste attaché à l’exploration des espaces profonds de l’esprit humain, ce besoin, cette évidence à partager un projet sous une réduction de l’univers ne peut que m’attirer.

Faire référence à la matrice humanisée de Gê, de Gaïa, est plutôt intéressant. Ceci place d’emblée le schéma psychique aux sources de notre culture périméditerranéenne matriarcale antérieure à la prise de pouvoir de Zeus l’Olympien. Elle étaye l’idée avant Œdipe, avant les tragédies classiques s’enroulant autour de nos névroses et nos psychoses primaires. Elle installe l’idée de la rencontre et de l’exposition de la relation intime du vigneron à sa vigne autour d’un monde profondément maternel et précède, ou dégage, ainsi totalement les schémas classiques du psychisme tentant de trouver sa place entre psychose et névrose.

Géode

La géode (geôdês en grec) signifie littéralement Comme la terre et fait ainsi d’abord référence à la rotondité de notre planète.  

Elle est un milieu clos en complète dépendance de son environnement. Sa forme intérieure, sa densité, le volume de son espace vide en son cœur dépendront des fissures, de la porosité de la gangue extérieure, des infiltrations et du lessivage d’eaux souterraines, du travail autour des germes de cristaux. Tant qu’elle est en interaction avec son environnement, son évolution, sa transformation, sa mutation n’est jamais finie.

L’idée de ce milieu clos très complexe en constante mutation et absolument dépendant des échanges avec son environnement convient particulièrement bien à l’idée des projets vitivinicoles. Ces derniers, malgré l’orientation, la cristallisation, la politique insufflée par le vigneron sont totalement dépendants de la qualité du terroir, des échanges biodynamiques stoppés ou entretenus, des échanges commerciaux et avec l’interprofession, ainsi que de la technicité mise en œuvre. Elle est également un milieu clos dans le sens où chaque cuvée est un univers à part entière, automorphe, possédant ses propres temps et ses propres géographies. 

Dôme géodésique

Quant à l’idée de dôme géodésique, elle encore plus proche de l’humain… Elle est autant sur-naturelle que l’humain se pensant le chef-d'œuvre des espèces vivantes. Pur produit de notre logique, cette structure pousse le luxe à tourner le dos à l’idée de beauté et d’harmonie biomimétique générées par le nombre d’or, la grande et la petite raison.


L’idée est si pure, si évidente qu’elle en parait profondément naturelle... alors qu’elle n’est théorisée qu’à la fin de la Première Guerre Mondiale par Walther Bauersfeld et réellement finalisée dans les années 1930 par R. Buckminster Fuller et l’artiste Kenneth Snelson.


Comme la coupole, cet objet géométrique libère les espaces architecturaux contraints par la statique. Elles sont pourtant de lointaines parentes ne partageant pas la même structure statique. De plus la coupole est le résultat d’expériences empiriques et millénaires, tandis que le dôme géodésique est l’application pure d’une idée, d’une formule géométrique, d’une abstraction de l’univers perçu par l’humain.

Le dôme géodésique est avant tout un espace matriciel totalement délimité, générant un centre et un plan d’observation périphérique et zénithal, gommant perspectives et horizons. L’univers tangible est là, à portée de myope, un univers à l’échelle de l’humain. S’il y a vue au-delà du dôme, elle n’est que kaléidoscope délimité par la technologie, la taille et la forme des facettes composant le dôme. Entre notre monde sous le dôme et l’univers il y a donc ce filtre produit par notre pensée. 

Rien de nouveau depuis l’Egypte antique où le monde des hommes était un plan circulaire recouvert d’un dôme constellé d’étoiles sans perspective. La conscience de l’univers au-delà de cette tenture stellaire était difficilement imaginable. 

Le dôme géodésique est donc l’allié du vigneron souhaitant accueillir le visiteur dans son strict et propre univers. L’espace y est dégagé des contraintes verticales intérieures et offre un ciel sous lequel peut se partager sa propre mythologie, sa géographie et son temps. Avec un peu de sensibilité, il peut également offrir la gangue matricielle, la géode, en connexion avec le terroir accueillant les germes de son travail… ses « cristaux » que le visiteur est venu cueillir.

Ce dôme est déjà en expérimentation à Chamery chez le vigneron Stéphane Parmantier. Elle trône dans son hangar au milieu des tracteurs, enjambeurs et des poutres de l’ancien clocher de Chamery. Son diamètre est de 3m et développe une hauteur de 2.2


m, des proportions définitivement humaines et intimistes. Sa structure est à base de triangles isocèles dressés avec des douelles de barriques. Certaines sont récentes, mais d’autres sont chargées de l’histoire familiale : les douelles de son père sont les plus fines et les plus brunes.

Ces douelles engagent donc dès la structure de ce dôme un échange intergénérationnel, elles se mélangent, s’accordent, s’étayent mutuellement sur un projet en héritage. Mais elles suggèrent également une maturité post-œdipienne de cette exploitation vitivinicole. Stéphane Parmantier a eu l’occasion d’être exposé à d’autres règles de conduite d’une vigne, d’autres choix de vinification, il en est revenu plus fort dans ses propres choix… Tout en saluant ici la mémoire et le travail de son père. Sa propre mythologie est donc là, en tenségrité, prête à être contée au visiteur.

Les questions actuelles sont : doit-on recouvrir ce dôme géodésique d’une toile protégeant des intempéries ? Doit-on contraindre l’univers dans cet espace matriciel ? Ou bien laisser le corps aux caprices des intempéries et l’œil courir la campagne au-delà de ce monde « égyptien » ? Ou bien au contraire capter l’état d’être ici, là et maintenant ? Les réponses n’appartiennent qu’à Stéphane Parmantier, bien entendu. 

Nouvelles questions

Une autre question pointe : comment développer l’idée de géode, de gangue sous le dôme ? 

Le dôme géodésique de Stéphane Parmantier est pensé pour pouvoir être installé périodiquement dans les vignes, enjambant un ou deux rangs ou bien, pour des raisons pratiques de conduite de la vigne, juste à proximité de cette dernière. De notre côté, nous avons vu que la géode était une gangue en constante mutation, vivante, tant qu’elle restait en interaction directe avec son écosystème et qu’ainsi les cristaux pouvaient se développer autour de germes… Nous avons vu également que l’on venait vers la gangue à la rencontre de ces cristaux. 

L’idée serait donc de faire de ce dôme géodésique une géode fonctionnant comme une loupe, un microscope, un laboratoire d’observation de l’évolution du cristal… du cep dressé autour du travail du vigneron. Cette idée nécessite donc une installation à cheval au-dessus des rangs de vigne existants ou bien créer à proximité un espace planté de quelques ceps, plus accessible et moins contraignant pour les travaux de la vigne. 

Le dôme géodésique couvant une géode est probablement la structure architecturale répondant le mieux au besoin d’accueil des visiteurs dans les vignes. Ce dôme s’extrait de toute notion d’enrobage stylistique et privilégie l’émotion immédiate face au cristal. Ce cristal n’est autre que le cep né du germe, du travail du vigneron. Ce cristal est également façonné par l’écosystème extérieur, c’est-à-dire le terroir immédiat. 

Ce dôme définit un univers à l’égyptienne, une coupole imprimée des limites et du rythme insufflés par la mythologie propre du vigneron sur un cercle horizontal ancré avec vigueur sur le terroir. 

Au-delà de l’expérience gustative ou visuelle, au-delà de l’émotion immédiate, c’est cette mythologie jouée et contée dans la matrice que le visiteur emportera dans son propre univers, dans sa propre rationalisation a posteriori… Et c’est cette dernière qui initiera la dynamique cyclique du retour incompressible au Paradis Perdu et le besoin de partage de son aventure merveilleuse. 

Certes, la mémoire du goût peut engendrer une « madeleine de Proust », un plaisir à retrouver une sensation, mais très rarement un retour physique sur les lieux de cette sensation. Au mieux ira-t-on acheter au magasin du coin une « madeleine et un thé » aptes à reproduire cette sensation.

Stéphane Parmantier a montré également une autre dimension à laquelle nous n'avions pas pensé : celle de la dynamique transgénérationnelle. Discrète dans son emprise, elle marque pourtant fortement cette architecture de son empreinte. 

Retour au Paradis Perdu

Et puisque nous avons engagé l’idée d’un Paradis Perdu, une autre dimension se révèle : celle du temps de cheminement, de marche, vers ce Paradis, ce dôme inaccessible dans notre vie ordinaire. C’est ce temps qui renforce le désir avant le plaisir de l’expérience. Enfin, les premiers pas du chemin du retour sont ceux provoquant la jouissance après le plaisir, l’exultation dans l’urgence consciente de l’éloignement de ce Paradis restant derrière nous.

C’est la qualité et la force de cette exultation du retour qui déterminera la réponse au « tout ça pour ça ? » et sculptera la forme de la rationalisation.

Alors oui, j’ose rêver d’un terroir où poussent ces structures comme des dômes de champignons entre les vignes… des portes magiques vers des germes, des cristaux et des univers magnifiques mis en scène.

P. S. : A l'automne 2020 nous revisitions une nouvelle fois la géode : https://www.lepamprebleu.com/post/l-espace-d-accueil-idéal-des-visiteurs-dans-les-vignes

 

les vins Champagne PARMANTIER Frère & Soeur sont disponibles à https://fr-fr.facebook.com/pg/champagnelouisanot/about/.


Un excellent livret sur la construction des dômes géodésiques est disponible à https://issuu.com/borispaymukhin/docs/the-dome-builders-handbook


 

Liens transversaux : #PARMANTIER #Architecture #Chamery

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