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Le Syndrome de Galatée et le vigneron

Fais plaisir à ta vigne et elle te le rendra...
Moi, je parle à ma vigne quand je la taille ou la palisse. Comme ma femme et ma belle-mère parlent à leurs plantes pour les rendre plus belles et plus fortes.

On trouvera toujours des tenants du monologue ou de la communion entre l’homme et les formes du vivant dotées de conscience apparente ou non. On trouvera toujours des esprits “rationnels” prouvant par A+B que cette attitude est pratiquement pathologique ou correspond à un temps où l’Homme avait besoin de s’assurer les grâces du monde qui l’entourait.


Consultée sur la problématique du discours vers les objets inanimés ou vers les autres formes du vivant, la psychiatre Tatiana Georkova nous explique :


« Le sujet est relativement simple. Deux étapes de réassurance ancrent l’Homme sur le monde qui l’entoure.

La première est évidement le tout jeune enfant trouvant dans ses doudous et ses animaux de compagnie un espace sécurisé pour confier les secrets, des gardiens empêchant que le monde change pendant leur sommeil, une assurance que quoi qu’il arrive le monde restera toujours préhensible.

La seconde se joue au moment où le besoin de l’enfant à trouver d’autres lois et d’autres miroirs permettant de s’extraire de la bulle familiale pour préparer la sienne propre. Ce temps est marqué par l’adoption de héros mythiques et initiatiques prenant en charge l’accès au monde adulte. Cela peut-être un coach de l’équipe sportive, Zorro, Barbie ou les « Marseillais » des sitcoms actuels.


Quant à parler à sa vigne...

C’est un écho de ce besoin premier à créer et maintenir un univers préhensible quoiqu’il arrive, même lorsque le vigneron dort. Le vignoble est un monde en lui-même, l’univers du vigneron.

Mais le vigneron a passé l’âge de l’adolescence, des révolutions. Le héros c’est lui maintenant. C’est souvent pesant et ingrat. Pour quelqu’un en communion totale avec son objet de subsistance, effectuer les choix cruciaux de conduite des vignes est parfois générateur de doutes profonds. La “propreté”, la réassurance de la légitimité du héros face à son univers est ici totalement centrale.


La légitimité se matérialise par les lois, faites de mots écrits ou oraux en partage. Parler à sa vigne est lui émettre ces mots en assumant le rôle du héros en charge de son univers tout en s’avouant le besoin que rien ne bouge dans son sommeil ou son absence. Assurer et se réassurer, émettre les mots à sa vigne devient donc logique si l’on considère l’évolution psychique de l’enfant vers l’âge adulte.


À ce stade il serait mal venu de parler de pensée magique… Plutôt de conscience difficilement assumée d’être le héros de son propre univers. Verbaliser ce rôle et se poser des questions sur l’efficacité de notre rôle dans la vie n’est pas pathologique en soi.


À l’inverse, j’ai l’exemple d’un vigneron, ici à Paris, sur la Butte Montmartre. Il enterre avec soin, systématiquement, devant chacune de ses parcelles un haïku décrivant ce qu’il aimerait de celle-ci.


C’est charmant, c’est Paris, un profond geste artistique. C’est également un prétexte à libations avec des amis proches. C’est même romantique dans les yeux de sa compagne, les mots toujours… Il y place tellement de passion et d’amour !

Ça semble sympa, mais… Nous sommes là dans la pure pensée magique : rituel par essence compulsif, mise en scène d’une volonté propre vers un élément de l’univers naturellement et consciemment inaccessible.

Le gain n’est pas forcément l’objectif, mais l’assurance d’une interaction intime bénéfique entre l’initiateur du rite et l’objet désiré. On parle dans cet exemple de syndrome de Galatée, la réalisation d’un fait fortement désiré faisant appel à un rituel plus ou moins ouvertement déclaré.


Au passage, le conte de Pygmalion est totalement sordide sur le plan de la relation interpersonnelle via la Libido. Pygmalion bande pour son œuvre d’ivoire, Galatée.

Cette dernière vient à la vie grâce à une intervention divine.

La seule chose que sait dire cet objet doté de parole est :

« Je ne sais rien d’autre que je vous aime ».


Interaction minimale, mais suffisante pour satisfaire les besoins de Pygmalion : trouver le miroir complice et assoir une légitimé de héros de son univers justifiée par les dieux.


Au final, conscient du rôle majeur et critique que joue le vigneron dans son univers, il est naturel de monologuer à sa vigne, d’y confier ses doutes ou de verbaliser ce qui peut l’être.

C’est juste un écho sans conséquence psychique des pratiques de l’enfant et de l’adolescent arrivé à l’âge des responsabilités. Donc, dans une certaine mesure, cela participe à l’équilibre psychique de l’individu.

À l’opposé, l’espoir d’établir un amour partagé avec ses pampres, une interaction, via les mots oraux ou écrits est du domaine de la pensée magique pure.

A vous de voir, magie blanche ou psychopathologie si le rite sort de l’ironie opportuniste ou du jeu franc entre compères. Tout dépend de votre point de vue sur le monde.


Cependant, la vigne est une plante donc c’est du vivant. Le domaine du sensible semble réagir très fortement aux influx des mélodies. Il paraît également que certaines plantes émettent d’autres mélodies en retour.

Ça ressemble au film Rencontre du troisième type et toute l’intrigue est précisément autour d’une mélodie et bien sans les mots...


Moi... Je rêve toujours que l’on vienne me jouer du violon sans blabla inutile... Ne suis-je pas une belle plante moi aussi ? »


 
J. L. Gérôme (1824-1904) - Pygmalion et Galatée - The Metropolitan Museum of Arts

Pygmalion et Galatée


Dans la mythologie grecque, le sculpteur Pygmalion tombe en désir pour sa statue d’ivoire Galatée.

Il rêve qu’elle prenne vie.

Aphrodite exauce ce vœu.

Galatée ne sait dire qu’une phrase :

« Tout ce que je connais de moi / C’est que je vous adore. »

Pygmalion au comble du bonheur répond :

« Ce jour a comblé tous mes vœux / Vous vivez, vous aimez et j’aime »

Au-delà de la fable se dessine le fantasme de l’amour comblé, de la réciprocité entre l’œuvre et son créateur… Et ce fantasme ultime, nous l’avons croisé au sein même du vignoble.

 

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