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Mis à nu… Vins Tranquilles

Être psychanalyste c'est bien entendu être en quête permanente des origines du sujet auquel je m'attèle. J'aime l'effervescence et la fraicheur du Champagne tel que nous le connaissons usuellement. Mais je voulais pouvoir ressentir ce qu'était réellement le vin servi à la table des rois, celui tant apprécié par Louis XIV par exemple. Alors j'ai eu le bonheur d'être initié à ces vins rares et précieux que sont les vins tranquilles des côteaux champenois.

Mise à nu - (c) Ava LAUDRIN-LEFEVRE 2019

On date d'ordinaire l'amour de l'effervescence maitrisée des vins de Champagne à l'année 1697, date à laquelle dom Pérignon aurait été l'inventeur de l'effervescence telle que nous la connaissons aujourd'hui. Or dans les faits cet illustre moine cellérier-intendant de l'abbaye Saint-Pierre d'Hautvillers, a passé sa vie à trouver des solutions de conservation du "vin du diable" en bouteille.

Ce "vin du diable" faisait référence à la nature même des vins de Champagne lorsqu'ils étaient conservés en bouteille de verre.


Ce n'est qu'en 1670 que la Champagne adopte la bouteille de verre, soit à peine une génération avant dom Pérignon. Ce flacon assurait une bien meilleure préservation des arômes qu'en barrique de ces vins. En revanche, ce très récent mode de conservation couplé au tirage du vin nouveau effectué avant la fin de la fermentation ont très largement accentué le naturel pétillant de ces vins dits tranquilles. Comme plusieurs moines à l'époque, dom Pérignon était passé maitre dans l'assemblage des raisins avant leur pressurage, sa problématique se recentrait sur la domestication de ce vin devenu fou à lier. La légende veut que ce soit les conséquences de ses expériences du bouchage des bouteilles à la cire d'abeille qui lui aurait permis de découvrir la seconde fermentation et de maîtriser l'évolution de l'effervescence.

Gardons les héros et les saints, ils sont necessaires à toute histoire officielle.


Ce qui m'intéressait était de ressentir le vin dont on se délectait à la cour du roi soleil, Louis XIV, ces vins de Champagne avant leur élaboration en bouteille, avant la généralisation de la seconde fermentation.

Je voulais tenter d'éprouver la jouissance du nectar que l'on servait aux Tuileries lorsque Jean-Baptiste Lully créa son "Ballet de Flore" (1). Je voulais comprendre pourquoi, à l'époque, on osait comparer le capiteux Bourgogne à ces Champagnes éthérés.


J'avais au hasard d'un achat en boutique découvert un flacon de Bouzy, le vin tranquille de la Côte des noirs… J'ai été littéralement transporté par la puissance, la finesse et la précision du Pinot noir. Oui, je comprenais enfin pourquoi il a été un temps légitime où le verbe autour des vins de Champagne rivalisait avec celui autour des vins Bourgogne.

Dans la foulée je m'essayais aux blancs issus des vignobles du sud d'Epernay, puis au rosés des Ricey, en Côte des Bars… La boucle était bouclée, j'appris que ces rosés étaient celui des ouvriers terrassiers et tailleurs de pierre sur le chantier du futur châteaux de Versailles. Louis XIV persuadé que ce vin était la source de leur légendaire dynamisme en favorisa largement l'accès à sa table.


A part quelques très rares exceptions, ces vins tranquilles sont d'abord des vins confidentiels, des vins subjectifs dressés à l'exigence et au plaisir de leurs vignerons avant d'être le reflet du marché du moment.

Malgré l'engouement planétaire pour les vins effervescents, je ne les considère pas comme des gestes anecdotiques ou la réassurance d'un producteur devant se prouver à lui-même qu'il demeure toujours un artisan d'exception.

Je les considère comme le chef d'oeuvre d'un savoir faire définissant avec précision un terroir et sa maison.

La notion de chef d'oeuvre ne souffre pas de l'idée de génie, d'invention heureuse et inspirée. Bien au contraire, elle s'ancre très profondément dans l'héritage du geste, de l'expérience, des choix de conduite de vigne, du risque de la date de vendange et de l'innovation maîtrisée par la profonde connaissance de son terroir, des matériaux à disposition, des énergies disponibles, des aléas climatiques... et du beau, si contextuel soit-il... Tout en collant au cahier des charges légal (2).


Lorsque je porte à mes yeux, à mon nez et à mes lèvres ces vins particuliers… C'est d'abord le tour de force du vigneron qui a osé se mettre à nu que j'observe et dissèque avec désir.


Je ne peux que vous conseiller de lire l'ouvrage d'Armand Bourgeois, Le vin de Champagne sous Louis XIV et sous Louis XV, d'après des lettres et documents inédits, Paris, 1897

 

(1) - Jean-Baptiste LULLY LWV40 : https://www.deezer.com/fr/album/6798119

(2) - Décret relatif à l'appellation d'origine contrôlée « Coteaux champenois »


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