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Psychanalyse dans les vignes : Volutes cristallisées

Un dimanche matin d’automne, aux pieds du cirque naturel de Chamery (51), parcelles des Puits… Une camionnette blanche avance brinquebalante dans le chemin creux. Elle stoppe devant moi. Un jeune vigneron longiligne et frisé fait coulisser la porte latérale et dispose entre deux rangs de vigne, une chaise et un lit de camp. Une promeneuse aux cannes nordiques nous observe du coin de l’œil et passe son chemin. La scène doit lui sembler bien étrange.


Entre les rangs de vigne…



Cela fait plusieurs mois que je suis magnétisé par la sculpture de sarments de cette parcelle. Mais je n’arrive pas à la saisir. Tantôt je la regarde comme un vénérable éléphant aux défenses ondulant au-dessus des pampres, tantôt comme des volutes de fumée coiffant une vigne. Emilien Feneuil, l’un des auteurs de cette œuvre, a accepté de m’éclairer. Nous avons donc fait le pari d’une séance de psychanalyse sous sa sculpture. Ainsi immergés entre ses ceps, nous espérons tirer l’essence profonde de ce trait particulier dans le paysage.


Au-dessus de nous les volutes de sarment, au loin les cloches de Chamery rythment les quarts d’heure. Je suis là, confortablement assis dans mon fauteuil de plastique blanc. Emilien est allongé devant moi sur le lit de toile. Sa parole facile me berce, n’interagissant que lorsque le discours s’éloigne trop de son axe initial.


…Œdipe


J’apprends que cette sculpture est une œuvre familiale. Père, mère et fils ont tiré de cette parcelle tous les éléments composant cette sculpture : sarments et piquets métalliques. Rien n’est exogène, tout est l’expression profonde de cette parcelle, des matériaux aux gestes et à la pensée. Bien qu’Emilien en ait été le chef d’orchestre, elle m’est décrite comme le moment où une famille laisse de côté les chamailleries et les incompréhensions mutuelles. Je perçois maintenant cette œuvre comme le dépassement des craintes d’une génération solide face à l’imagination aussi bouclée et fleurie que la chevelure de leur rejeton. Un Œdipe plein d’amour qui a su, malgré lui, laisser à chacun sa place, son rôle naturel et sa dignité.


Je croise également au passage un profond besoin de sempérité … Cette volonté des boyaux à occulter le début et la fin des choses. Cette parcelle est plantée de petit meslier, un cépage devenu rare, sans origine réelle communément reconnue. Emilien m’explique également que les piquets de métal classiquement en usage aujourd’hui ont été ici remplacés par de l’acacia… Un matériau noble, sans âge et pratiquement indestructible. Cette parcelle est définitivement hors du temps. Comme un métronome éternel, seul le rythme annuel des pampres et de l’herbe entre les rangs en marquent le pouls. N’existent que l’ici et maintenant.


Volutes cristallisées…


J’interroge maintenant sur la forme de cette sculpture… Pas vraiment de réponse, pas vraiment de mots sur lesquels un critique d’art pourrait se conforter en se vantant de les avoir pêchés directement à la source.


Dès les premières minutes, Le terme volute nous était devenu consensuel. Une volute est en perpétuelle redéfinition, tout en dépendant de la densité relative de ses éléments et du contexte dans lequel elle flotte.


Pour Emilien, cette sculpture est un geste de défi visant à « cristalliser hors du temps ma pensée toujours en mouvement ».


Cette sculpture est également sans nom… innommable… Sortant non pas de toute filiation, mais de tout baptême, de toute naissance, de toute disparition, de toute notion de clan ou d’école stylistique… De tout attendu et non de tout désir. Le nom créée la chose et cette œuvre n’est pas une chose puisqu’elle n’a précisément ni début, ni fin, ni origine, ni devenir.


La seule concession que m’a faite Emilien est que ce mouvement perçu dans l’ondulation des faisceaux de sarments est là pour générer la sensation. Mais cette perception est une sensation subjective et non universelle.


L’absolu va encore plus loin. Lorsque l’on suggère à Emilien de planter un panneau devant cette parcelle indiquant le nom des auteurs, la date de création et l’adresse de sa cave, voire un simple flash code conduisant vers sa boutique en ligne. Il rétorque que cela trahirait l’essence même de cette sculpture, la réduirait à orienter et fixer sa perception.


… Et mon éléphant


L’hiver, j’y retournerai encore et encore, seul avec mon fauteuil en plastique blanc. Je laisserai mes yeux se perdre le long des volutes avec en perspective les nuages en mouvement.


L’été j’y reviendrai pour m’allonger entre les pampres, sur l’herbe tendre à écouter mon temps s’égrener au rythme du clocher… J’y attendrai mon vénérable éléphant.


Il m’a été donné d’entendre que cette sculpture est un bel exemplaire de l’art contemporain dans les vignes. On y cherche donc temporalité, espace, sens et non-sens. Ma perception est différente. S’il y a typologie, classification ou avis à émettre, elle serait certainement à appréhender comme parfaitement représentative de l’art actuel… Un geste toujours en vie, s’amusant encore et toujours des tentatives de définition, parfaitement et fièrement subjective.


La sculpture est visible tout le long de l’année, parcelle des Puits à Chamery, coordonnées géographiques : 49°10'20.68"N, 3°56'56.85"E


P.S : Une première découverte de cette sculpture en juin 2020

 

Liens transversaux : #EmilienFENEUIL #Chamery #ArtActuel


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