Psychanalyse dans les vignes : Une géode entre les pampres.
Cet été, nous avions découvert la géode de Stéphane PARMANTIER. Nous en avions exploré son univers. Le projet est maintenant à maturité et son auteur a accepté de se prêter à une séance de psychanalyse classique sur canapé.
Depuis juillet, Chamery (51) a bien changé. Sous un ciel hésitant, les ceps dénudés s’exhibent maintenant sans pudeur. Dans un dernier espoir, quelques grappes encore gonflées de vie tentent de faire de l’œil aux derniers promeneurs.
Emmitouflé dans mon vieux caban, je marche vers l’entrepôt de Stéphane PARMANTIER. Je l’aime bien ce hangar. Imaginez le coffre à trésor de votre prime jeunesse, c’est lui. Il s’y amoncelle toutes les victoires de votre vie, un fier tracteur bleu, un improbable monocycle, des trucs rouges ou orange, des choses qui servent, ne servent plus ou serviront un jour. De tout ceci est probablement né ce qui vous définit intimement aujourd’hui. De tout ce hangar est en train de naître l’un des traits majeurs de la personnalité des coteaux de Chamery.
Circus…

A travers les panneaux transparents du toit, la lumière pâle du soleil d’automne inonde le hangar. Sur la dalle de béton claire trône un canapé couleur saphir sous un dais en forme de géode fait de douelles roses, bleues et lie-de-vin. C’est de cette sculpture dont je veux percer les mystères de la genèse et de la destinée.
La conversation s’engage doucement. J’apprends que cette géode est à l’origine destinée à être posée entre trois rangs et servir de lieu d’accueil lors du festival dans les vignes Chamery Circus. Ce festival de printemps est un salon professionnel dédié aux coteaux champenois. … Circus, voilà donc la raison de la présence du monocycle.
L’idée d’accueil, de refuge, m’évoque les anciennes loges de vignes, de matrice protectrice. Je dois évacuer l’idée aussitôt. Stéphane me décrit une structure inverse : un lieu d’accueil, oui, mais sans couverture ni sol, intimement liée aux caprices du climat, du terrain, à l’image de ses vignes. Au mieux permet-elle de se distinguer de ses compères lors du festival et orienter les visiteurs vers ses parcelles.
En effet, une loge, une grotte, un lieu de refuge aurait nécessité l’idée d’un seuil entre un extérieur et un intérieur. Mais ce que nous nommions géode n’est qu’une demi-structure, très largement ouverte, sans ce seuil indispensable matérialisant l’entrée vers un autre univers.
A l’inverse, depuis l’intérieur de la structure, le visiteur aura devant lui, un paysage en kaléidoscope à travers les triangles définissant la géode. Elle n’est donc pas une volonté d’un extérieur vers l’intérieur, mais son opposé.
Pour Stéphane, inviter sous la géode est proposer une vue réorientée, magnifiée vers ses vignes (dans le sens de magnifier en Anglais, la loupe). De la rendre plus fine, plus concernée, plus immergée, un vignoble plus palpable… Un espace parlant au-delà des mots et du discours professionnel lié aux vins des coteaux champenois.
Evidemment je ne peux pas laisser passer cette idée de loupe, de microscope... de microcosme. Il fait trop échos aux tentatives d’une personnalité à saisir ses mondes impalpables et non-visibles.
Le Beau…
L’inconscient est fait d’images, de vecteurs, de temps et d’époques qui se chevauchent et s’entremêlent dans un présent continu. Je décide donc de suivre la piste des couleurs appliquées sur la face extérieure des douelles, la face visible de loin, tranchant avec le vert tendre des jeunes pampres du printemps. J’y apprends que le rose évoque Célia, la sœur de Stéphane, le bleu est lui-même, lie-de-vin est leur grand-père paternel. Parfaite image d’une fratrie soudée se rendant digne de sa lignée.
Mais où est donc le père ? J’ai du mal à le trouver, jusqu’au moment où je comprends qu’il est là partout, un lien subtil, entre trois générations ouvertes l’une à l’autre.
J’écoute longuement Stéphane évoquer ses souvenirs du grand père, des odeurs de fûts, des sons particuliers de la vigne, du poids des outils et des gestes hérités. Un silence, il est là allongé sur le canapé. Les mailles de la géode le surplombent, l’entourent, le bercent.
A cet instant précis, le ça lui gicle à la figure. Cette géode, cette maille est la main de son grand père… non pas la main mise étouffante, mais celle qui couvre de sa paume, bénit, protège, adoube et valide.
Je prends acte de cette fulgurance. Je me réjouis que la légèreté et la volonté d’identité véhiculée par Chamery Circus puissent générer tant d’esprit chez ses organisateurs.
Une fois installée dans le vignoble, quel sera le devenir de cette œuvre d’art fragile et délicate ? Stéphane rêve qu’elle devienne le refuge des araignées et de toute cette faune participant aux échanges bourdonnant dans ses vignes. Il imagine qu’elle soit peu à peu submergée par les pampres, noyée, ingérée. Qu’elle soit l’abri et le garde-manger de ces petits univers parallèles et entremêlés qui existent au-delà de lui et de sa sœur.
Et si cette sculpture n’était pas autre chose qu’une sublimation visant, pour Stéphane, à devenir le terreau de son propre vignoble ? Cet axe m’a un temps séduit, mais la sublimation prend racine sur un détournement constructif de la Libido. Nous sommes ici manifestement loin d’une énergie libidinale à canaliser, donc encore moins dans un dépassement des orages d’Œdipe, de l’angoisse de trouver son rôle et sa place, d’imposer aux générations précédentes ses idées comme les meilleures et les plus fiables.
Je privilégie donc la piste du continuum émotionnel traversant les générations dans les deux sens, du grand-père paternel aux petits enfants et inversement. Celle qui vise l’absolu du Beau. Le Beau se synthétise dans l’idée de « tout ce que j’aime et comprends, ce qui me rassure par son indéfectible présence au-delà du temps et des modes. ».
Disparitions…
Bien entendu cette fragile sculpture de douelles va être ingurgitée par la vigne. Bien entendu les couleurs représentant les acteurs du continuum émotionnel vont s’affadir sous la pluie et le temps. Mais l’idée de devenir le terreau de son propre vignoble n’est qu’une rationalisation réflexe face à l’angoisse de disparition, des disparitions… Il y a un au-delà du ça qu’il me faut saisir.
La séance est finie. Je laisse Stéphane reprendre pieds doucement. Je me lève de ma chaise, regarde ce hangar au travers de ce kaléidoscope sans âge. Le souvenir des temples japonais en bois me revient à l’esprit. Eux aussi sont soumis à la loi naturelle de l’effacement progressif. Leur énergie vitale est dans ce cycle de construction et reconstruction. Ils attirent l’œil, marquent un territoire, mais ce sont avant tout des lieux et non des choses. Ce sont des espaces géométriques intemporels et profondément liés à leur géographie. Ce sont des temples du Beau, où l’on vient chercher compréhension et indéfectible présence.
Cette géode, est destinée à étonner et attirer les visiteurs du festival Chamery Circus. Elle est pensée pour aider à cueillir le Beau des coteaux champenois. Comme les vins, cette forme géométrique pure n’existe pas dans la nature. Comme les vins, elle est la quintessence de l’esprit humain et de ce que la nature spontanément offre à jouir.
Je rentre maintenant sur Reims, longeant de nouveau les coteaux dévêtus. A la radio, l’ébouriffant Sacre du Printemps. Lui aussi a su étonner et attirer, malgré eux, les mélomanes. Je coupe la radio, aujourd’hui j’ai besoin de cocon, de Beau tranquille.
Et un mulot des vignes …
Tout en roulant, l’idée définissant cette géode à l’identique d’un temple japonais perdure et s’installe définitivement… écrin du Beau, expression d’un terroir familier, doux et puissant, se reconstruisant de génération en génération… indéfectible et accessible.
J’ai presqu’envie que cette année passe très vite. Me transformer en mulot des vignes, tapis sous les douelles écroulées, observer Stéphane Parmantier reconstruire ma nouvelle habitation.
les vins Champagne PARMANTIER Frère & Soeur sont disponibles à https://fr-fr.facebook.com/pg/champagnelouisanot/about/.
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